La précarité ne prend décidément pas de vacances. C’est en été que la «dégradation de la prise en charge des personnes sans domicile» est la plus problématique, rappelle la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS, ex-Fnars) qui regroupe les associations de lutte contre l’exclusion, dont les plus importantes comme le Secours catholique, Emmaüs, l’Armée du salut.

Cette situation s’explique notamment par la réduction, «après l’hiver» et «faute de moyens suffisants» des capacités d’accueil dans les centres d’hébergement ou dans les accueils de jour, où les SDF peuvent se poser, prendre une douche, laver leur linge… Pour «objectiviser» cette grande détresse estivale des démunis, la FAS a mis en place depuis 2011 un «baromètre du 115», (le numéro d’urgence des sans-abri) qui analyse «les demandes et réponses» concernant l’hébergement d’urgence dans 41 départements. «Les résultats […] montrent une situation particulièrement alarmante à Paris, en Gironde et dans les Bouches-du-Rhône», indique l’étude publiée ce mardi, que Libération s’est procurée . Entre le 10 juin et le 10 juillet, 84 468 demandes d’hébergement ont été effectuées par 20 845 personnes, en augmentation de 17 % par rapport à la même période de 2016. Pire : sur les 20 845 personnes ayant sollicité un abri à la même période, 10 632 «n’ont jamais été hébergées, soit […] une hausse de 10 %».

«Abandon». Cette précarité à la hausse «touche la quasi-totalité des compositions familiales», indique le baromètre : hommes isolés, femmes seules, couples sans enfants, familles. Signe du manque de place dans les centres : à peine plus d’un tiers des demandes (37 %) ont effectivement «donné lieu à un hébergement» en cette période estivale , contre 53 % l’hiver dernier, quand l’offre de mise à l’abri est plus importante. «Cette gestion de la prise en charge des personnes sans abri en fonction du thermomètre est un non-sens. Elle contribue à dégrader la situation sociale et sanitaire des personnes à la rue. Dormons-nous dehors parce que c’est l’été ?» interroge Florent Guéguen, directeur général de la FAS, qui déplore «un abandon des plus faibles par la puissance publique».

Fait inquiétant : parmi les sans-abri ayant appelé le 115, on note une hausse importante des jeunes âgés de 18 à 24 ans. «Au total 13 205 demandes d’hébergement ont concerné 3 389 jeunes», affirme l’étude. «Cette hausse […] souligne la forte dégradation de la situation sociale et économique de ce public, touché notamment par les difficultés d’accès aux minima sociaux.» En effet, les moins de 25 ans n’ont pas droit au RSA, sauf s’ils ont un enfant à charge ou s’ils ont déjà travaillé pendant deux ans. Pour expliquer cette hausse de la précarisation des jeunes, la FAS pointe aussi «les ruptures de parcours à la sortie des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE)». Selon Florent Guéguen, «d’un département à l’autre, il n’existe pas toujours une prise en charge spécifique de ces jeunes quand ils sortent à 18 ans de l’ASE, sans ressources et sans logement». Il y a une dizaine d’années, une étude conjointe de l’Ined et de l’Insee (1) avait déjà souligné une surreprésentation, parmi les sans domicile fixe, de personnes ayant été placées dans des foyers ou des familles d’accueil pendant leur enfance. En cas de difficultés, ces anciens de l’ASE ont moins de possibilités que les autres de mobiliser une solidarité familiale et basculent plus brutalement dans la grande précarité.

Hôtels. Autre fait saillant du «baromètre été 2017» de la FAS : la forte hausse (+ 23 %) des demandes venant de familles .10 092 personnes sont concernées et «parmi elles on compte 5 328 enfants mineurs». Selon l’étude, 48 % d’entre elles n’ont «jamais été hébergées». La faute à un système pensé il y a une trentaine d’années à une époque où l’immense majorité des SDF étaient des hommes seuls isolés. Les centres ne sont plus vraiment adaptés à la précarité multiforme touchant aussi des familles avec enfants. Parmi elles, beaucoup de réfugiés, mais on note aussi une augmentation d’appels au 115 venant de ménages qui ont perdu leur logement après une expulsion locative ou une séparation conjugale. Lorsqu’elles parviennent à obtenir une prise en charge, «les familles sont principalement à l’hôtel (à 60 %) contre 34 % pour la population totale». Tous chiffres confondus, le baromètre 2017 conclut à «une détérioration des conditions d’hébergement».

(1) «Influence des événements de jeunesse et héritage social au sein de la population des utilisateurs des services d’aide aux sans domicile», Economie et statistique, octobre 2006.