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Le pari gagnant de la lutte contre le gaspillage alimentaire

Un bénévole  des banques  alimentaires  récolte les dons  dans un  supermarché à  L’Haÿ-les-Roses  (Val-de-Marne)  le  26 mai 2015.  PHILIP PE WOJAZER/REUTERS

La loi de 2016 a accéléré les dons aux associations, réduit le gâchis à la source et généré de nouvelles activités

Tranches de pain abandonnées sur l’assiette, portion de lasagnes « en trop », fruits cabossés ou yaourts proches de la date limite de consommation... En France, chaque année, 10 millions de tonnes d’aliments consommables partent à la poubelle. A la maison, dans les restaurants ou les cantines, mais aussi sur les lieux de production ou de transformation.

Pour lutter contre ce gâchis, les pouvoirs publics ont fixé, en 2013, un objectif ambitieux : réduire de moitié le gaspillage et les pertes alimentaires d’ici à 2025. Tout un arsenal juridique s’est mis en place petit à petit. Une nouvelle étape a été franchie, mercredi 30 mai, avec l’adoption par les députés d’un article du projet de loi agriculture et alimentation visant à imposer un diagnostic et le don alimentaire à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire.

La mesure, si elle passe l’examen au Sénat fin juin, étendra à de nouveaux acteurs les obligations déjà imposées à la grande distribution par la loi du 11 février 2016 contre le gaspillage alimentaire. Ce texte oblige les supermarchés de plus de 400 m² à rechercher un partenariat avec une association d’aide alimentaire pour lui faire don de ces invendus encore consommables. Il interdit aussi aux distributeurs, sous peine d’une amende de 3 750 euros, de les javelliser. Deux ans après son entrée en vigueur, les invendus finissent-ils moins au fond de la benne ?

Faute d’évaluation nationale, difficile d’avoir une vision précise de la portée réelle de la loi. Mais les retours sur le terrain comme les tests sur un échantillon de magasins donnent des résultats positifs sur le volume des dons mais aussi plus globalement sur la diminution du gaspillage. « La loi a eu un effet d’entraînement et a généralisé les bonnes pratiques », affirme-t-on à la direction de l’alimentation du ministère de l’agriculture, qui promet un bilan chiffré et complet de la loi pour la fin de l’année.

En attendant, selon le baromètre 2018 des invendus en grande distribution, réalisé par l’Ipsos pour Comerso, une start-up qui sert d’intermédiaire entre les magasins et les associations, 94 % des points de vente interrogés pratiquent le don des surplus alimentaires, parfois depuis longtemps. Mais pour 34 % des magasins étudiés, la loi a servi d’aiguillon et d’accélérateur pour la mise en place d’actions antigaspi.

Résultat, les dons aux associations ont augmenté. « En 2017, nous avons récupéré auprès des grandes surfaces, qui sont notre principale source d’approvisionnement, 46 000 tonnes de produits, soit 12 % de plus qu’en 2016 et l’équivalent de 92 millions de repas », confirme Jacques Bailet, président de la Fédération française des banques alimentaires, la principale association de collecte et de distribution de denrées. Les marges de progrès restent pourtant importantes : 55 % des points de vente sondés par l’étude précitée n’ont pas organisé de collecte quotidienne, et continuent donc à mettre à la poubelle un grand nombre de produits qui n’ont pas pu être récupérés à temps.

Pour limiter le gaspillage, les entreprises ont aussi travaillé en amont pour calculer au plus juste leurs stocks et développer le « stickage », cette pratique qui consiste à solder les denrées à date courte, notamment le frais. Avec, à la clé, des bouleversements pour les associations. « Les dates limites de consommation des invendus sont de plus en plus courtes, note Jacques Bailet. A charge pour nous de nous organiser pour distribuer ces produits au plus vite ou de trouver une façon de les transformer – en soupe, compote, plats préparés... avant qu’ils ne soient plus consommables. »

Logistique à mettre en place

Plus de dons induisent aussi plus de chauffeurs pour la collecte, plus de bénévoles pour le tri... Toute une organisation à mettre en place à budget constant. D’où l’idée développée par un certain nombre de start-up de « professionnaliser la gestion des invendus », en jouant le rôle d’intermédiaire entre magasins et organisations caritatives. « Il doit être aussi facile de donner que de jeter, explique Pierre-Yves Pasquier, cofondateur de Comerso. Pour cela, nous prenons en charge toutes les démarches et la logistique assurée par une flotte de 70 camions. Grâce à un logiciel de gestion, la traçabilité de la marchandise est assurée à toutes les étapes de la collecte, du transport et de distribution. »

La jeune pousse de 35 salariés compte aujourd’hui 300 entreprises clientes (grande distribution ou industriels de l’agroalimentaire) et collabore avec plus de 400 associations pour qui le service est entièrement gratuit. L’extension du don à la restauration collective, dans le cadre de la future loi, pourrait lui offrir de nouvelles opportunités de croissance, « même si redistribuer des plats chauds ou des produits transformés est beaucoup plus complexe que pour des produits secs ou frais », poursuit Pierre-Yves Pasquier. L’enjeu est de taille. « On gaspille quatre fois plus en restauration collective et commerciale qu’au foyer, précise Laurence Gouthière, chargée de la lutte contre le gaspillage alimentaire à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), soit 130 g par convive et par repas, contre 32 g chez les ménages. » Entre les mets qui n’ont pas été consommés, ceux produits en trop grande quantité par l’équipe de cuisine ou écartés lors de la phase de production, le gaspillage coûte cher. Toujours selon l’Ademe, pour un restaurant servant 500 couverts par jour et en moyenne 200 jours par an, ce sont entre 15 et 20 tonnes de produits qui sont jetées par an, l’équivalent d’une perte économique de 30 000 à 40 000 euros. D’où l’intérêt de faire la chasse au gâchis à la source, comme c’est le cas dans les cantines de la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

En 2017, cette commune a mis en place dans trois groupes scolaires un plan antigaspi pour mieux adapter les quantités aux besoins et à l’appétit des écoliers. Les portions proposées en primaire ne sont plus uniformes mais se déclinent en plusieurs tailles, à charge de l’enfant de choisir selon sa faim et ses goûts. En maternelle, on est passé d’un plateau de cinq composants à quatre, avec un roulement entre entrée, produit laitier et dessert. Les élèves ne se sont pas pour autant jetés sur la corbeille de pain pour se « caler », au contraire le volume de celle-ci a diminué.

Les surplus de repas non consommés sont récupérés dans des conditions sécurisées par Excellents Excédents, une jeune entreprise qui les redistribue à des structures d’aide alimentaire, mais aussi à des espaces de coworking ou des entreprises ne disposant pas de cantine. Cette expérimentation, qui a réduit d’un tiers le volume des aliments non consommés dans les assiettes des écoliers, devrait être généralisée progressivement à l’ensemble des 38 groupes scolaires de la commune d’ici à 2020.


« En 2017, nous avons récupéré auprès des grandes surfaces l’équivalent de 92 millions de repas »

JACQUES BAILET Fédération française des Banques Alimentaires