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Collecte de novembre : le défi logistique des Banques alimentaires

Rangement des denrées alimentaires données  à la sortie de magasins à l'entrepôt de stockage de la banque alimentaire de Marseille en 2012. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Les Français sont sollicités dans les magasins pour remplir le chariot des associations caritatives. Objectif : récolter, en deux jours, près de 12 000 tonnes de denrées non périssables destinées aux plus démunis.

C’est le rite du dernier week-end de novembre : les Français sont sollicités dans les magasins pour remplir le chariot des associations caritatives de denrées destinées aux plus démunis.

« Nous demandons les produits les plus chers – huile, café, chocolat et surtout des conserves de viande et de poisson, les protéines animales qui nous manquent », précise Jacques Bailet, président de la Fédération des banques alimentaires qui compte ainsi récolter, en deux jours, pas moins de 12 000 tonnes de denrées non périssables.

Créé en 1984, cet organisme fédère 79 banques locales et 23 antennes disséminées sur tout le territoire et joue le rôle de centrale d’approvisionnement pour ses 5 400 associations adhérentes, des grandes organisations caritatives (comme la Croix-Rouge française, le Secours catholique ou protestant, Emmaüs, la Société Saint-Vincent-de-Paul) aux associations locales en passant par des centres communaux d’action sociale (CCAS). Les Banques alimentaires nourrissent ainsi deux millions de foyers sur les quatre millions enregistrés auprès des institutions caritatives.

L’appel aux dons de fin novembre nécessite une organisation sans faille et mobilise une armée de 130 000 bénévoles allant écumer 9 000 magasins. La logistique est à faire pâlir de jalousie la grande distribution, qui apporte d’ailleurs son concours décisif à l’opération. Rien qu’en Ile-de-France, les 1 800 tonnes attendues rempliront 120 semi-remorques.

Pas question de perdre du temps

Comme tous les quinze jours, Jeanine Bonino, ergothérapeute à la retraite, se rend avec le chauffeur et la camionnette du CCAS de Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) chercher des denrées à Arcueil (Val-de-Marne), siège historique des Banques alimentaires installé dans une ancienne église. « Il y avait du thé, j’ai sauté dessus ! J’emporte aussi des herbes de Provence, des sauces et, bien sûr, des pommes de terre et des oignons : ça plaît toujours. »

La viande est maintenue dans des bacs isothermes hermétiques : « Nous sommes très vigilants sur la chaîne du froid et nous contrôlons scrupuleusement les températures », explique Philippe Nieto, administrateur bénévole des Banques alimentaires pour Paris et l’Ile-de-France. « Notre entrepôt de 400 m2 est trop petit, il contient à peine une semaine de stock. Nous en avons ouvert un autre à Gennevilliers, cinq fois plus grand, mais ça ne suffit toujours pas. Nous devons donc louer des espaces de stockage au prix de 15 centimes par mois et par palette », regrette-t-il.

Mais pas question de perdre du temps : un coup de klaxon rappelle qu’il faut laisser la place à d’autres camionnettes qui attendent leur tour. Gérard Bonnet, de la Croix-Rouge du 14e arrondissement de Paris, fait le plein de lait, de biscuits, d’ananas et de café pour servir des petits déjeuners et des collations dans son accueil de jour.

Hélène, du Centre d’action sociale protestant de l’Essonne, fait peser mandarines, raisins et lait pour bébé, en tout 519 kg. Marcello, 77 ans, règne sur l’espace libre-service où ne circule aucun argent. Derrière sa balance, depuis 7 h 30 du matin, il pèse, note et enregistre toutes les marchandises charriées par chaque association : « J’assure la douane, ironise l’ancien agent d’assurances, et je me sens utile. »
Tour de quartier pour récupérer les invendus

Les associations adhérentes ne verseront que quelques centimes d’euros par kilo emporté, le même prix unitaire, qu’il s’agisse de foie gras ou de pâtes, pour contribuer au budget de fonctionnement de 1,6 million d’euros par an, rien que pour l’Ile-de-France, 26 millions d’euros sur le plan national.

La structure aligne des équipements dignes d’un grand groupe : 102 entrepôts, 433 camions, 287 véhicules frigorifiques. « La Fondation Carrefour et Monoprix nous ont chacun offert un camion frigorifique à 40 000 euros pièce, Picard nous propose des congélateurs », se félicite M. Nieto. Chaque jour, il faut « faire la ramasse… enfin, la collecte », précise-t-il, c’est-à-dire le tour des magasins du quartier pour récupérer les invendus, source précieuse de produits frais, de fruits et de légumes, de charcuterie, de laitages voire de produits de luxe comme le foie gras, le roquefort ou des saumons à consommer dans les 48 heures.

Tout cela nécessite un tri minutieux, dans un local maintenu à la température de 8 °C, un patient travail auquel s’attellent Chantal et Nicole, qui décryptent les dates limites de consommation pour que ces denrées soient consommées dans les temps, dès le lendemain.

Plus loin, c’est le ballet des caristes et des palettes qu’ils font virevolter : « Il faut savoir conduire les engins et gerber [déplacer, dans le jargon] des palettes d’une demi-tonne à neuf mètres de hauteur… C’est un métier », confie l’un d’eux. Gilles le Merrer règne, lui, sur « les appros » (approvisionnements), qu’il faut planifier.
UE, Etat, industriels et agriculteurs

L’Union européenne fournit 25 % des marchandises grâce au Fonds d’aide aux plus démunis, la France complète, avec notamment des appels d’offres pour les produits surgelés ou laitiers. Mais le plus gros provient des industriels et des agriculteurs : « Du jour au lendemain, on reçoit des tonnes de yaourts, des fruits, notamment ce que l’on appelle les “pommes Poutine” », raconte Jacques Bailet, faisant allusion à l’embargo sur la Russie qui a privé les agriculteurs français du droit d’y écouler leur marchandise.

Ces stocks ont, en bonne partie, atterri dans les banques alimentaires. Un atelier de découpe de boucherie a été ouvert à Grenoble, « et nous devons parfois transformer nous-mêmes certains produits, faire des conserves, des confitures, des compotes, des soupes… Nous ne jetons, finalement, que 6 % de produits frais ou, plus précisément, nous donnons une seconde vie à 94 % des marchandises. C’est notre savoir-faire et notre objectif est certes de fournir une alimentation de qualité mais aussi de lutter contre le gaspillage », rappelle M. Nieto.


4 millions de bénéficaires de l’aide alimentaire
Quatre millions de personnes ont, chaque année, en France, recours à l’aide alimentaire. Ce chiffre, sans doute sous-estimé car beaucoup de nos concitoyens n’osent pas avouer solliciter une telle assistance, est en hausse régulière de 2 % à 3 % par an (selon l’enquête IFOP menée, tous les deux ans, pour les Banques alimentaires) : 70 % des bénéficiaires sont des femmes, 80 % des inactifs, qu’ils soient chômeurs (34 %), hommes ou femmes au foyer (15 %), retraités (12 %), handicapés ou malades (8 %). Quant aux 20 % qui ont un emploi, ce dernier est souvent précaire. Il y a aussi beaucoup de familles monoparentales (33 %) et de personnes seules (31 %).
L’aide alimentaire équivaut à 92 euros par mois, un montant significatif en regard d’un revenu moyen de 800 euros. « Ce coup de pouce est déterminant pour faire face à d’autres dépenses, de santé, de transports, et permet d’améliorer la qualité nutritionnelle par l’apport de protéines », estime Jacques Bailet, président de la Fédération des banques alimentaires.