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Sauver la planète et notre avenir : des experts appellent à une révolution alimentaire mondiale

La production alimentaire est la plus grande source de dégradation de l'environnement, et l'alimentation malsaine présente un risque plus élevé de morbidité et de mortalité que les rapports sexuels non protégés et la consommation combinée d'alcool, de drogues et de tabac. FANATIC STUDIO / SCIENCE PHOTO L / FST / Science Photo Library / AFP

En 2050, nous devrions être 10 milliards d'êtres humains sur Terre. Comment nourrir tout le monde en préservant la santé et l'environnement ? Des experts de 16 pays se sont rassemblés et proposent une solution : une révolution agricole et alimentaire mondiale.

Il est possible et nécessaire de changer de régime alimentaire au niveau mondial d'ici 2050, alerte un rapport de la Commission EAT de la prestigieuse revue The Lancet. Mais pour cela, il faudra modifier les habitudes, améliorer la production et réduire le gaspillage alimentaire. Il serait ainsi possible aux près de 10 milliards de personnes dont sera peuplée la Terre de bénéficier d'un régime alimentaire sain, et ce dans les limites de ce que l'environnement peut produire.

La Commission EAT est un projet de 3 ans réunissant 37 experts de 16 pays, spécialisés dans les domaines de la santé, de la nutrition, de la durabilité de l'environnement, des systèmes alimentaires, de l'économie et de la gouvernance politique.

Santé : 11 millions de décès pourraient être évités par l'adoption d'un nouveau régime

Si l'augmentation de la production alimentaire a contribué à améliorer l'espérance de vie et à réduire la faim, le taux de mortalité infantile et juvénile et la pauvreté dans le monde au cours des 50 dernières années, ces avantages sont maintenant neutralisés par la tendance mondiale aux régimes alimentaires malsains riches en calories, en sucre, en amidons raffinés et aliments d'origine animale et à faible teneur en fruits, légumes, céréales complètes, légumineuses, noix et graines et poisson. "La transformation du système alimentaire mondial est urgente, car plus de 3 milliards de personnes souffrent de malnutrition (y compris des personnes sous-alimentées et suralimentées)", alerte le rapport.

En effet, ces régimes alimentaires malsains présentent un risque plus élevé de morbidité et de mortalité que les rapports sexuels non protégés et la consommation combinée d'alcool, de drogues et de tabac. Ainsi, "suivre ce nouveau régime permettrait d'éviter environ 11 millions de décès prématurés par an", expliquent les auteurs. D'après trois modèles, l'adoption du nouveau régime alimentaire mondial pourrait donc réduire le nombre de décès chez les adultes de 19 à 23,6%.

Environnement : "rien de moins qu'une nouvelle révolution agricole mondiale"

Depuis le milieu des années 50, le rythme et l'ampleur des changements environnementaux ont connu une croissance exponentielle, au point qu'aujourd'hui la production alimentaire est la plus grande source de dégradation de l'environnement. "La production alimentaire dépasse les capacités de la planète, entraînant le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution due à une trop grande utilisation d'engrais azotés et phosphorés, et des modifications de l'utilisation de l'eau douce et des sols", explique le rapport.

 

Pour être durable, la production alimentaire doit respecter ces capacités environnementales, mais aussi être intensifiée de manière durable pour répondre à la demande alimentaire croissante de la population mondiale. Pour cela, les experts du Lancet préconisent de "décarboner la production agricole" en éliminant l'utilisation de combustibles fossiles et les pertes de CO2 dues au changement d'affectation des sols dans l'agriculture. En outre, "une perte zéro de la biodiversité, une expansion nulle des terres agricoles dans les écosystèmes naturels et des améliorations radicales de l'efficacité d'utilisation des engrais et de l'eau sont nécessaires".

Cela ne représente "rien de moins qu'une nouvelle révolution agricole mondiale ", régit dans un communiqué le co-président de la commission, le Pr Johan Rockström (Suède).

Le nouveau régime alimentaire : moins de viande rouge et de sucre, plus de fruits, légumes et légumineuses 

Par rapport aux régimes actuels, l'adoption mondiale des nouvelles recommandations d'ici 2050 nécessitera une diminution de plus de 50% de la consommation mondiale d'aliments tels que la viande rouge et le sucre, d'après les experts du Lancet. En réalité, l'effort dépendra des pays. Par exemple, les pays d'Amérique du Nord consomment près de 6,5 fois la quantité de viande rouge recommandée, et l'Europe 4,5 fois, alors que les pays d'Asie du Sud ne consomment que la moitié de la quantité recommandée. En revanche, il faudra au niveau mondial multiplier par deux la consommation de fruits à coque, de fruits, de légumes et de légumineuses.

Le rapport préconise des régimes comprenant une variété d’aliments à base de plantes, contenant de faibles quantités d’aliments d’origine animale, des céréales raffinées, des aliments hautement transformés et des sucres ajoutés, ainsi que des graisses insaturées plutôt que saturées. Les auteurs estiment que l'adoption généralisée d'un tel régime augmenterait notamment l'apport en micronutriments essentiels (tels que le fer, le zinc, le folate et la vitamine A, ainsi que le calcium dans les pays à faible revenu).

EUROPE. Selon le rapport, les européens mangent 4,5 fois trop de viande rouge, 4 fois trop de légumes féculents (pomme de terre et manioc), 2 fois trop d'œufs, et un peu trop de volaille et produits laitiers. En revanche, les noix et les céréales sont 10 fois trop peu consommées, les légumes 5 fois trop peu, les fruits presque 2 fois trop peu, et les légumineuses et le poisson sont un peu en-dessous de la référence choisie pour ce nouveau régime.

Une coopération mondiale sans précédent

Pour relever ce défi, "une collaboration et un engagement mondiaux sans précédent seront nécessaires", soulignent les experts dans le rapport, afin que les changements alimentaires soient associés à une production alimentaire améliorée et à une réduction du gaspillage alimentaire.

La Commission propose cinq stratégies pour atteindre ces objectifs ambiteux. Premièrement, des politiques visant à encourager les personnes à choisir des régimes alimentaires sains : éducation, accessibilité ou encore restrictions en matière de publicité. Deuxièmement, recentrer l'agriculture vers la production de cultures variées et riches en nutriments. Troisièmement, une gouvernance efficace de l'utilisation des terres et des océans pour préserver les écosystèmes naturels et garantir le maintien des disponibilités alimentaires. Quatrièmement, une intensification durable de l'agriculture tenant compte des conditions locales pour générer des cultures durables et de haute qualité. Enfin, les déchets alimentaires doivent être au moins réduits de moitié, que ce soit au niveau de la production alimentaire dans les pays à faible revenu, ou au niveau des consommateurs dans les pays à revenu élevé.

"La transformation que réclame cette Commission n'est ni superficielle ni simple" réagit le Dr Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet. "La bonne nouvelle est que c'est non seulement faisable, mais que cette intensification durable profite à la fois aux agriculteurs, aux consommateurs et à la planète", conclut le Pr Johan Rockström.